Titre

Avant-propos
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9

Les interviews
Liens
Auteur

Genèse et développement
des tours automatiques
à poupée mobile

Les origines du tour automatique à poupée mobile

Au début du 20e siècle, nous trouvons à Moutier trois constructeurs de tours automatiques à poupée mobile, tous trois concurrents et pionniers dans ce genre de machines (appelées aussi «décolleteuses»). L’invention du tour automatique à poupée mobile (Swiss Automatic Lathe) est attribuée à Jakob Schweizer, un horloger installé dans le Jura bernois, initialement pour y gagner sa vie en fabriquant des montres. En fait, ce précurseur met au point à Bienne d’abord pour son propre usage, dès 1872-1873 déjà, le premier prototype de tour automatique à poupée mobile commandé par cames.

Précision: alors que les tours sont habituellement dotés d’une poupée fixe, les tours à poupée mobile eux sont équipés d’une poupée dotée de mouvements de déplacement axiaux, de sorte que, par combinaison du mouvement axial de la poupée porte-broche et des mouvements de plongée des chariots porte-burins, il soit possible de générer des formes complexes sur la pièce en cours d’usinage en n’utilisant néanmoins que des burins standards du commerce, en lieu et place des burins de forme nécessaires lors de l’usinage traditionnel «en plongée». Le système supprime également le besoin de chariots longitudinaux, donc une simplification notable de la machine: c’est la poupée mobile qui génère en fait les mouvements de chariotage.
L’ancienne villa Junker à Moutier, sur le site Tornos, transformée en Musée du Tour automatique.
L’industrialisation proprement dite des tours système Schweizer commence vers 1880 alors qu’un mécanicien suisse allemand, du nom de Nicolas Junker, s’établit à Moutier avec pour projet la fabrication de vis et de pignons pour l’horlogerie. Junker se met à fabriquer ces machines d’abord pour son propre compte, puis pour autrui, les dotant par la suite de perfectionnements inédits, en particulier d’un «combiné» de contre-opérations, de porte-burins radiaux et verticaux, d’un système rudimentaire d’avance-barres automatique... La physionomie caractéristique en étoile du plan de travail du tour automatique ne doit dès lors plus guère changer aux cours des décennies suivantes, la technique de la «poupée mobile» (constituant d’ailleurs toujours un «must» actuellement, même à l’époque des machines CNC), étant une solution irremplaçable. D’autres évolutions se succèdent à une cadence  rapide, caractérisées par des progrès en matière de motorisation autonome (versions d’abord sur établi avec renvoi motorisé, puis sur socle en fonte avec moteur d’entraînement incorporé), l’apparition d’accessoires tels qu’appareil à fendre, appareil à moleter, appareil à tailler les pignons, etc. Apparaissent dès 1969 les machines multibroches et par la suite les ravitailleurs de barres automatiques. Désormais, en raison du degré d’autonomie et d’automatisation des machines, un seul décolleteur suffit à la conduite d’un atelier comportant de nombreuses décolleteuses, fonctionnant souvent jour et nuit, parfois même pratiquement sans surveillance durant la nuit. Il suffit de remplacer de temps à autre les outils usés pour les affûter et de réapprovisionner les ravitailleurs de barres.

1er cas
Lorsque le financement n’est pas au rendez-vous

2e cas
Lorsque la technique n’évolue pas

3e cas
Lorsque la technique et le financement sont au rendez-vous

Les trois fondateurs:
Petermann, Bechler et Mégel

Mais revenons aux sources. En 1904 donc, Joseph Petermann, constructeur d’étampes horlogères, s’associe à André Bechler. Sous l’appellation Bechler & Cie, les deux compères se mettent à développer des tours automatiques basés sur le système Schweizer-Junker. L’affaire réussit au-delà des espérances et une usine est construite à Moutier, rue de Soleure. André Bechler perfectionne encore le système, y ajoutant la «bascule», un support oscillant unique commandé par une seule came, comportant deux porte-burins disposés de en opposition de part et d’autre de l’axe de la broche, réalisant donc des opérations d’usinage alternées. En 1914, André Bechler se sépare de Joseph Petermann. Après plusieurs tentatives de diversification, il se lance à nouveau dans la fabrication de tours automatiques. Les affaires se développant de façon satisfaisante, il construit une nouvelle usine le long de la route cantonale et la société s’appelle dès 1947 «Fabrique de machines André Bechler S.A.».

En 1914 également, Willy Mégel reprend l’usine Junker et s’associe à un jeune technicien du lieu, Henri Mancia. Après quelques changements de raison sociale, Tornos Fabrique de Machines Moutier S.A. voit le jour en 1917, avec pour programme de fabrication, également la production de tours automatiques système Schweizer-Junker.

C’est ainsi qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, se trouvent donc désormais implantées à Moutier trois entreprises résolument concurrentes: Tornos, Bechler et Petermann, qui réalisent et commercialisent dans le monde entier des tours automatiques à poupée mobile. En 1968, Petermann est absorbée assez brutalement par Tornos, puis en 1974, Bechler se rapproche de Tornos pour former dès 1981 l’entité Tornos-Bechler S.A. Par la suite, les trois anciens concurrents se trouveront finalement réunis sous le nom de firme unique Tornos S.A.

Prototype du tour automatique Schweizer, mis au point en 1872.
Source : Musée du Tour automatique, Moutier

Petit zoom rétrospectif
sur les tours de décolletage à poupée mobile

Au début du 20e siècle, nous trouvons donc à Moutier Bechler, Tornos et Petermann, ces trois entreprises pionnières dans le domaine des tours automatiques (appelés aussi «décolleteuses»). L’idée de base était de construire une machine qui réalise complètement les vis d’horlogerie, à partir de barres tréfilées en laiton, en l’occurrence l’opération de tournage de la tige (enlever le «collet» d’où les vocables «décolletage», «décolleteur» et «décolleteuse»), le filetage et le fendage de la tête de vis, ainsi que le tronçonnage. Jusqu’alors la fabrication des vis d’horlogerie s’effectuait laborieusement pièce par pièce et le «migrosse» (loupe d’horloger) vissé à l’œil de l’opérateur, sur de petits tours d’établi à commande manuelle: une opération à la fois méticuleuse et fort coûteuse. La solution technique issue du procédé Jakob Schweizer, a abouti à des machines-outils appelée «décolleteuses» ou «tours automatiques à poupée mobile», réputées par la suite dans le monde entier sous la dénomination «tour automatique système suisse» (dit «Swiss Automatic Lathe» dans les pays anglo-saxons).

Les machines étaient alors commandées par des systèmes comportant des arbres à cames, ces derniers générant par l’intermédiaire de jeux de leviers, aussi bien les mouvements des divers organes mobiles de la machine (poupée mobile, bascule, chariots) que ceux des appareils accessoires (combiné arrière de contre-opérations, appareil à fendre, tronçonneur, appareil à fileter et même un appareil à tailler les dentures). Ces machines ainsi équipées devenaient de véritables «arbres de Noël»!

L’apparition du tour automatique à poupée mobile a également été à l’origine de deux métiers nouveaux: celui de décolleteur (pour l’exploitation et le réglage des machines) et celui de calculateur/faiseur de cames, non moins important, nécessitant de la part de ce spécialiste de bonnes connaissances en géométrie, trigonométrie et mathématiques. Des cours du soir de calcul des cames, de trigonométrie et de règle à calcul (il n’y avait pas encore à l’époque de calculettes, encore moins de PC) étaient organisés à l’Ecole Professionnelle de Moutier, à l’intention des décolleteurs et mécaniciens désireux de se profiler dans cette activité (l’auteur de ce texte les a d’ailleurs suivi). Pour chaque pièce à fabriquer sur un tour automatique, il s’agissait donc de dessiner, tracer et réaliser un jeu de cames en fonte et de le monter sur la machine, de procéder au réglage fin des leviers (à l’aide de vis micrométriques), de produire quelques pièces prototypes, et puis parfois, malheureusement, il fallait démonter le jeu de cames pour ensuite le retoucher après la réalisation de pièces prototypes pas tout à fait satisfaisantes, puis remonter le tout et effectuer à nouveau les réglages. Et cela prenait beaucoup de temps. Le seul –mais important– handicap des tours automatiques à cames était donc constitué par des temps de mise en train longs, incluant notamment le calcul, le dessin, le traçage, la fabrication et le montage d’un jeu complet de cames en fonte pour chaque genre de pièces à produire, ce qui rendait ces machines uniquement aptes à la fabrication de pièces en grandes séries, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’industrie horlogère et celle de l’appareillage.

Musée du Tour automatique: la salle des machines «début 20e siècle».

1er cas
Lorsque le financement n’est pas au rendez-vous

2e cas
Lorsque la technique n’évolue pas

3e cas
Lorsque la technique et le financement sont au rendez-vous

Les trois fondateurs:
Petermann, Bechler et Mégel

Les trois fondateurs

Joseph Petermann.

En 1904, Joseph Petermann, constructeur d’étampes horlogères, établi à la Rue des Oeuches à Moutier, s’associe à André Bechler, jeune technicien de 21 ans ayant achevé ses études au Technicum de Bienne et non dépourvu de finances. Sous l’appellation A. Bechler & Cie, puis Bechler & Petermann (société collective en nom simple), les deux associés se mettent à développer des tours automatiques système Schweizer-Junker. L’affaire réussit et une usine est construite en 1911 à Moutier, rue de Soleure. André Bechler perfectionne encore le système, ajoutant la «bascule», un support unique pour deux porte-burin. La bascule est dotée d’un mouvement oscillant produisant à l’aide d’une seule came l’engagement alternatif de deux porte-burins, disposés de part et d’autre de l’axe de la broche.

André Bechler.
Mais le 7 février 1914, André Bechler se sépare de Joseph Petermann, moyennant une substantielle indemnité (176'750 francs-or) compensant sa mise initiale avec une bonne plus-value, rachetant à Moutier ipso facto avec ce montant, au bord de la Birse, les locaux à l’abandon d’une manufacture horlogère ayant fait faillite. Alors que Joseph Petermann continue à construire des tours automatiques, André Bechler de son côté, lié par un accord de non-concurrence pour une durée de 10 ans, s’essaie à des opérations de diversification plus ou moins heureuses, réalisant notamment des machines spéciales pour l’horlogerie et même… des tricycles à pétrole!
Willy Mégel.

Willy Mégel (ex collaborateur chez Bechler & Cie/Bechler & Petermann), qui avait repris en 1905 l’usine Junker, s’associe début 1914 à un jeune technicien du lieu, Henri Mancia, qui vient de perdre son travail suite à la dissolution de Bechler & Cie. Après quelques changements de raison sociale, par exemple l’appellation «Usines Tornos, Boy de la Tour, Mégel & Mancia», l’usine Tornos Fabrique de Machines Moutier S.A. voit officiellement le jour en 1917 à Moutier, sur le site historique de l’usine Junker, d’ailleurs à l’endroit-même où l’entreprise Tornos est encore actuellement implantée, rue Industrielle.

Dès 1924, à l’expiration du contrat de non-concurrence et libéré de toutes contraintes, André Bechler a la possibilité de se lancer également dans la fabrication industrielle de ces tours automatiques dont il fut d’ailleurs le précurseur de leur version industrielle. Les affaires se développant de façon satisfaisante, il construit une nouvelle et imposante usine à proximité de l’établissement original, le long de la route cantonale et la société s’appelle dès 1947 «Fabrique de machines André Bechler S.A.». L’usine, de conception hardie pour l’époque, a été dessinée par un architecte local, Charles Kleiber père. 

Une anecdote qui m’avait été rapportée par mon père. lequel était contremaître chez Bechler et qui illustre la personnalité du fondateur de l’entreprise. Cela se passe en 1939. Un jeune homme à la langue agile, à la recherche d’embauche, se présente chez «André Bechler Tours automatiques». Personne ne l’accueillant à la réception, il se rend alors à l’atelier de montage. Voyant un compagnon en salopettes accroupi avec une clé à molette à la main en train d’effectuer un réglage sur un tour automatique en cours d’assemblage, il lui touche l’épaule et lui dit en rigolant: «Je viens à l’embauche, peux-tu me dire où se trouve le singe?». Et André Bechler (c’était lui) de se redresser et de répondre en essuyant ses mains pleines de cambouis: «le singe c’est moi»! L’histoire ne précise pas si l’homme fut finalement engagé.
Une concurrence acharnée.
C’est ainsi qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on trouve à Moutier trois entreprises absolument concurrentes, qui réalisent et commercialisent dans le monde entier des tours automatiques à poupée mobile de conception identique, occupant ensemble plus de 3000 collaborateurs (dans un village comptant 6000 habitants à l’époque). Alors que le tissu industriel européen est entièrement à reconstituer, le marché est suffisamment demandeur pour absorber la production de machines des trois constructeurs de Moutier, lesquels peuvent se développer sans trop se gêner mutuellement aux entournures. C’est même plutôt la surenchère constante entre les trois entreprises pour engager (le cas échéant débaucher) des cadres, mécaniciens, techniciens et dessinateurs-constructeurs. Et chaque nouveau développement est aussitôt copié par le concurrent, voire même mis au point séparément sans concertation et présenté sur le stand d’une exposition de machines, ce qui ne manque pas de générer des conflits acerbes. Les plus anciens de la région ont certainement encore en mémoire une épique partie de pugilat qui se déroula vers la fin des années cinquante, ayant pour cadre la «Foire suisse des Echantillons» à Bâle, et mettant aux prises deux industriels de la région. Quelques autres constructeurs suisses et français s’essaient à leur tour avec plus ou moins de succès à produire des tours automatiques à poupée mobile. Mais la véritable concurrence vient finalement de là où on ne l’attendait pas, c’est-à-dire d’Asie, en particulier des Japonais, séduits eux également par les potentialités des systèmes de tours automatiques à poupée mobile.

 

L’histoire tourmentée d’un constructeur de machines

En 1974, donc encore du vivant d’André Bechler (décédé en 1978), Bechler se rapproche de Tornos pour former dès 1981 l’entité Tornos-Bechler S.A. Auparavant, en 1968, menée de façon particulièrement brutale (il s’agissait alors plus de supprimer purement et simplement un concurrent que d’absorber son savoir-faire), s’était produite la reprise de Petermann par Tornos. La concurrence suisse ayant de la sorte été effacée, les trois anciens compétiteurs se trouvent rassemblés sous le label unique Tornos S.A. Désormais, l’entreprise Tornos est regroupée à Moutier, sur le site original, dans des locaux modernes et rationnels, à proximité de la villa de Nicolas Junker, récemment transformée en Musée du Tour Automatique.

Grands bouleversements en 1983 avec le licenciement de 500 employés. En 1983 toujours, 90% du capital sont acquis par le constructeur de machines-outils allemand Rothenberger-Pittler qui s’en sépare en 1988 au profit de la nouvelle holding Tornos S.A., qui est reprise l’année suivante par une société d’investisseurs britanniques, Doughty Hanson & Co et le Crédit Suisse. En l’an 2000, reprise des activités de la fabrique de machines Schaublin S.A. de Bévilard, acquise aux familles Schaublin et Villeneuve. Les années 2001 et 2002 voient une fonte drastique des effectifs, au cours de deux vagues successives de nouveaux licenciements, suivies par un retour temporaire de Rothenberger-Pittler dans l’actionnariat principal et l’abandon de Schaublin qui repart à Bévilard avec succès, sur de nouvelles bases et avec un nouveau conseil d’administration.

 

Finalement en 2005, les participations importantes du Crédit suisse et de Doughty & Hanson sont abandonnées es le titre (Tornos Holding) est coté en bourse, sous réserve de 10% du capital social détenu par des cadres de l’entreprise. Dès lors, les affaires ne cessent de prospérer et le constructeur de tours automatiques de Moutier a retrouvé son panache d’antan, avec une situation financière particulièrement saine et des produits constamment à l’avant-garde.

Des visions prospectives…

Les perspectives de la machine-outil en Suisse sont toujours favorables à ce jour malgré les aléas du secteur financier mondial, pour autant que cette industrie ne se repose pas sur ses lauriers. Nous avons vu que l’apparition des systèmes à commande numérique a été accompagnée par la disparition de près de la moitié des constructeurs suisses de machines-outils, durant une courte période de 10 ans. Les techniques évoluent toujours plus rapidement.

Actuellement la tendance est de réaliser des machines entièrement adaptées à la production (et non le contraire – ce qui fut longtemps le cas), ce qui implique une conception modulaire. L’ère des machines-outils universelles produites en grandes séries répétitives est révolue, car l’utilisateur ne désire pas dépenser de l’argent pour des fonctions dont il n’a pas l’emploi. Un point important est en revanche constitué par les prestations de services jointes au produit. Il s’agit en fait d’adopter une approche PLM. Cet acronyme signifie «Product Lifecycle Management» (gestion du cycle de vie du produit). C’est une stratégie qui aide les entreprises à partager les données des produits avec leurs clients, à appliquer des procédés communs et à capitaliser les informations de l'entreprise pour le développement de produits, depuis le stade de la conception jusqu’à celui de la mise au rebut, en passant par les étapes du développement et de la réalisation. Autre point de détail important: la maintenance. Une machine ne devrait si possible ne jamais tomber en panne. Si c’est néanmoins le cas, l’intervention réparatrice doit se dérouler dans les plus brefs délais. D’où l’importance du télédiagnostic et d’un réseau de vente, réparation et conseil réparti dans le monde entier. A mentionner également la bonne formation du personnel d’exploitation et de maintenance des machines-outils chez l’utilisateur. Il est nécessaire de prévoir des cours décentralisés, le cas échéant avec l’appui d’un support DVD ou internet comportant des exercices interactifs. Les systèmes de programmation (FAO) doivent être intuitifs, basés objets: la programmation des machines sera réalisée par des mécaniciens et des opérateurs, et non pas par des mathématiciens ou des informaticiens. Une attention toute particulière doit être vouée aux bibliothèques d’éléments numérisés (fichiers CFAO), tout spécialement pour l’outillage et les dispositifs de serrage et de bridage. La documentation de référence (instructions de service) doit être conviviale et réaliste. Il ne faut pas oublier que les prestations de services font partie intégrante du produit et constituent même souvent un argument de vente décisif.

Et autre chose encore: la notion de «chefs de produit» doit être dépoussiérée, pour responsabiliser ces cadres qui agissent dès lors comme de véritables entrepreneurs intégrés. Le constructeur de machines en blouse blanche dans sa tour d’ivoire au sein du bureau de recherches et développement est également à classer dans le tiroir des fossiles antédiluviens: l’ingénieur de développement du futur passera un tiers de son temps chez les clients (par exemple en compagnie d’un ingénieur de vente ou d’un technicien du service extérieur), un autre tiers dans les ateliers de fabrication et d’assemblage et seulement un tiers de son temps dans son fauteuil face à son poste de CAO: ce sera meilleur à la fois pour ses yeux, pour son dos et surtout pour la stimulation de son inventivité.

Les tendances du futur pour les machines-outils peuvent être une extrapolation de ce qui se fait actuellement: des machines encore plus rapides et précises, également plus rigides, des systèmes de serrage et de posage toujours plus ingénieux, des interfaces CNC plus conviviaux, un coût des machines diminué non pas au détriment de la qualité, mais par l’adoption de techniques judicieuses de fabrication et d’assemblage des composants. Il y a une dizaine d’années, nous nous attendions à une percée générale des entraînements par moteurs linéaires. Il n’en fut rien, cette solution, a priori tentante (suppression de la conversion du mouvement circulaire en mouvement linéaire – d’où une simplification de la chaîne cinématique et une suppression de l’inertie des corps tournants), ne s’étant finalement appliquée qu’à des cas particuliers. Les machines-outils à géométrie non conventionnelle (hexapodes par exemple) ont également rencontré peu de succès commercial. Ceci fait penser aussi au succès mitigé des moteurs Wankel, lesquels à l’époque semblaient sonner le glas des moteurs traditionnels. Comme quoi souvent des idées géniales ne réussissent pas forcément à s’imposer face aux caprices des marchés. Les futures voitures à hydrogène en revanche, semblent être une voie d’avenir. Cette filière risque d’aboutir à l’apparition de nouvelles générations de composants pour moteurs, notamment au niveau de l’injection, ce qui signifie aussi des applications innovantes et peut-être déroutantes pour les machines-outils. Affaire à suivre donc.

Dans les bureaux d’étude, l’approche CAO solide est à privilégier. Déjà au stade du dessin des composants de machines, il est nécessaire de concevoir des pièces en tenant d’emblée compte de la technique de fabrication la plus avantageuse du point de vue des coûts de revient. La conception doit se faire en dialogue permanent avec le bureau de méthodes et l’atelier de montage. Le prix de revient des composants des machines peut de la sorte être carrément divisé par un facteur deux!           

En outre, une bonne organisation dans les ateliers de production et d’assemblage permet d’effectuer encore d’autres économies et pas des moindres. C’est ce qu’a par exemple compris Haas Automation un nouveau constructeur californien, actuellement leader des constructeurs américains de machines-outils, qui produit des machines-outils (fraiseuses, tours CNC et centres d’usinage) pratiquement un tiers moins chères à qualité égale que les produits concurrents d’Europe et d’Asie, ceci essentiellement grâce à une organisation de production redoutablement efficace et un réseau de diffusion mondial non moins redoutable.

(( Dans l’encadré A ))

Le bureau d’études de Petermann, au début du 20e siècle.

L’usine Petermann en 1918.

Tour automatique monobroche moderne à poupée mobile: Tornos Deco 26a.

… et un vœu pour le futur

Toutefois, il est indispensable de concevoir les machines-outils de façon scientifique et rigoureuse, sans néanmoins perdre de vue l’aspect pratique ciblé métier.

Tour automatique multibroches moderne: Tornos Multideco 20.

A cet effet, il serait opportun de remettre en activité à l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne), aux côtés du LCSM (Laboratoire de Conception de systèmes Mécaniques) un Laboratoire de Machines-Outils (LMO) entièrement orienté sur les machines-outils travaillant par enlèvement de copeaux, les outils de coupe et les techniques d’usinage (y compris la FAO), afin de pouvoir d’une part former l’élite des concepteurs du futur, tout en réalisant d’autre part de la recherche fondamentale et appliquée, le cas échéant en collaboration avec le réseau d’Ecoles HES et avec des partenaires industriels suisses.

En effet, les défis du futur ne permettent plus – en tout cas dans le domaine de la machine-outil – de s’adonner corps perdu à la recherche fondamentale dans le cadre des bureaux d’études des diverses entreprises industrielles. En revanche, si un tel Laboratoire venait à être remis en activité à l’EPFL, il est certain que les grands constructeurs suisses de machines-outils y délégueraient pour des périodes déterminées de jeunes ingénieurs doctorants, collaborateurs scientifiques attachés à des projets, ou des ingénieurs en études post-grades, avec des sujets de recherche non seulement passionnants, mais aussi porteurs d’espoir pour les futures générations de machines-outils.

FIN de la saga

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